Dehors, il neigeait... [Libre]

Le paysage défilait rapidement derrière les vitres embuées du train. Un linceul blanc de neige et de flocons recouvrait les champs, les arbres, et donnait à la nature entraperçue par les voyageurs un léger goût d'inactivité. Comme si tout ce froid l'avait étouffée.
Le train était sûrement chauffé, pourtant Lily, scrutant dehors, avait remis son pull et son écharpe. La cabine qu'elle avait choisie restait désespérément vide, et quelque part, elle remerciait Dieu de n'y avoir entraîné personne. Parler lui aurait déplu, la plupart des gens souhaitant toujours avoir une discussion quelconque.
Dans ses écouteurs comme derrière la vitre, défilait un océan de tristesse. Noyée par ce flot de musique pop, de Last Shadow Puppets et de Nada Surf, Lily ne pensait pas réellement. Elle observait juste, attendait une échéance qui arriva bien vite.
-Messieurs mesdames, notre train arrive en gare, veuillez restez assis jusqu'à son arrêt complet, merci.

Le son de son mp3 ne parvint pas à caché l'annonce. Elle resserra son écharpe autour de son cou et remit son manteau, long, noir. Elle s'empêcha de remarquer l'aspect machinal de la manœuvre, se disant que ce n'était qu'un moment banal, et qu'il n'y avait aucune sensation de déjà vu, tandis qu'elle sortait sa valise relativement légère des soutes à bagages.
Le train ralentit, s'arrêta. Le paysage désolait toujours autant. Toute cette neige. Cette gare, ce minuscule hameau endormi. Lily se leva au son des Plain White T's, et se dirigea à la sortie du wagon. D'autres jeunes étaient là, sans doute pour le même camp. Elle soupira en descendant le marche-pied, fit quelques pas et observa les alentours.
Un homme, plutôt grand, un peu plus loin, brandissait un panneau de carton fait à la va-vite, marqué en rose fluo au feutre: "NeverLand's Holidays Camp". En japonais. Lily avait toujours eu du mal à lire les idéogrammes, surtout avec la différence entre les familles de caractères. Kanjis, Hiraganas, les Katamachintruc. Cependant elle saisit bien l'inscription.
Elle se frotta un instant l'arrière de la tête, hésitante, à la manière des mauvais gamins qui mentent. "C'est pas moi maman"
Pourquoi pensait-elle à ça ? Était-elle toujours obligée de juger les actions qu'elle faisait, même naturellement ? Pourquoi même remettait-elle en cause la remise en question de ses gestes ?
Dans ces cas là, elle attendait quelques secondes et l'adjectif "folle" s'imposait de lui-même. Alors elle passait à autre chose.

Fallait-il se diriger vers ce panneau ? En voyant tous ces gens y allant, son envie commença à vaciller. Le début d'une histoire, peut-être. Puis ses parents avaient l'air tellement heureux qu'elle y aille.

Elle poussa un gémissement. Souvent, elle soupirait ainsi quand ses amis la forçait à aller quelque part, à faire quelque chose. C'était ça, ou l'abandon. Elle le savait, et préférait la solitude, mais il fallait qu'elle rentre dans ce groupe. Plantée seule sur le quais tandis que le train s'éloignait, le groupe commença à bouger. Se décider. Vite. Vite. Maintenant.

Lily se mit à marcher vers le groupe à grands pas -ce qui eut pour conséquence de faire claquer ses bottes- et baissa le son du mp3, réduisant Kansas presque au silence. Arrivé à deux mètres à peine, elle ralentit et se laissa de nouveau distancer.
Pourrait-elle prendre le prochain train pour rentrer chez elle, finalement ? Non ? Non.
Elle resta derrière le groupe, qui se dirigeait apparemment vers un bus, et tenta de ne pas se faire remarquer -malgré ses bottes peu discrètes, avouons-le.

Elle n'avait pas dormi la nuit et s'était levée tôt pour faire le tour de tous les bungalows, espérant trouver une âme charitable qui lui prêterait un peu de démaquillant. Ayant enfin trouvé quelqu'un, la seule personne qui ne lui avait pas fermé la porte au nez, celle-ci s'était installée dans sa salle de bain, s'était vite démaquillée et en guise de remerciement avait donné à la personne un sac de sablés à la fraise. Puis, elle avait sauté dans le premier bus pour la Gare. Et tout ça sans perdre une seconde. Suki n'était pas paniquée, mais juste impatiente de faire ce qu'elle avait à faire, comme si tout se jouerait de quelques secondes. Le soir, avant de se coucher, la jeune fille avait rangé ses bagages dans le placard et le bureau de sa chambre et s'était rendue compte avec étonnement que sa trousse de toilette ne s'y trouvait pas. Celle-ci se dit qu'elle avait dû laisser sa trousse giser au-dessous de ses pieds : elle l'avait oubliée. Alors comme cet arrêt était le terminus du train, Suki s'était dit que quelqu'un avait dû voir ce sac rose abandonné et le donner à un contrôleur ou quelqu'un dans le genre. Si oui, ils avaient dû le mettre de côté, attendant que la propriétaire pointe le bout de son nez pour le récupérer...

*Et si je ne le retrouve pas, tant mieux ! Le sac commençait à être usé -il ne brillait même plus- et il me fallait racheter du vernis à ongles de meilleure qualité. Moi qui ne m'y résignait pas, voilà que le destin force les choses ! Ha ha ha !* Suki se mit à éclater de rire dans le bus, suscitant l'attention de tout le monde. Un grand silence s'installa pendant qu'elle riait aux éclats, puis après quelques secondes, les discussions reprirent. La Directrice du Club Scénique n'y porta aucune attention et se mit à faire des dessins sur la vitre du bus qui était couvert de buée. Elle commença à regarder Kokoro qui dormait sur ses genoux et essaya de le dessiner sans vraiment y parvenir. Découragée, elle balaya son dessin d'un geste et se mit à regarder le paysage dévoilé. Il neigeait encore, rendant l'horizon complètement invisible. On n'aperçevait à peine les champs défiler, le soleil était invisible Suki se rendit compte que le bus roulait particulièrement lentement. Peut-être qu'en plus de la faible visibilité il y avait un risque de verglas... en tout cas, elle ne se sentait pas très rassurée, et ce fût un soulagement quand le bus arriva à destination.

La jeune fille descendit et se mit à trottiner gaiement jusqu'à l'intérieur de la Gare. A première vue, il y avait autant de monde que quand elle était arrivée pour la première fois ici. Suki avait fait la connaissance de deux amies et de son âme-soeur juste à côté du poteau... là-bas. Celle-ci se remémora avec joie cet évènement qui marqua son arrivée à Neverland puis chercha de vue quelqu'un qui pourrait la renseigner. Son regard se posa alors sur un jeune homme qui semblait renseigner des gens car il montrait du doigt le panneau des horaires à la première dame de la file d'attente, qui comportait quand même 3 ou 4 autres personnes. Sans plus attendre, Suki se dirigea vers la fin de la file en faisant claquer ses talons à travers la Gare, masquant à moitié le brouhaha du lieu. Après quelques minutes d'attente vint son tour. Quand celui-ci la vit, il ne put s'empêcher de rester un moment interdit, la toisant de haut en bas, s'atardant sur sa robe Sweet Lolita et son lapin qui se tenait sagement sur son épaule droite. Mais il reprit vite ses esprit et lui demanda ce qu'il pouvait faire pour elle. La jeune fille lui exposa la situation puis lui demanda où ils rangeaient les objets perdus. Aussitôt, le jeune homme l'accompagna à une salle "Interdite au Public" et demanda une description de son sac. Il lui ordonna de rester au pas de la porte puis se mit à le chercher dans un énorme tas d'objets en tout genres : elle reconnut avec stupéfaction une basket solitaire, une pochette d'ordinateur portable ou encore des bols au design vieillot... Il continuait à chercher et Suki remarquait qu'à l'extérieur, la file d'attente commençait à s'allonger. Des personnes âgées avaient commencer à faire la conversation, tandis qu'un homme en costume chic tapait bruyamment du peid en regardant sa montre toutes les secondes. Au bout d'un certain temps, il revint à elle essouflé et lui dit qu'il ne l'avait pas trouvé.

-Votre sac a peut-être été retrouvé par un passager qu'il l'a gardé, ou par un employé de service. Mais si il n'est pas là alors vous n'avez aucune chance de le retrouver autre part dans cette Gare. Je suis désolé.

Aussitôt il retourna à son poste et s'excusa de son retard auprès de l'homme qui semblait répliquer avec férocité. Celle-ci se retint de lui faire remarquer qu'il avait laissé la porte ouverte et la referma en réprimant l'envie d'aller fouiller elle-même dans la salle. Ce n'était pas raisonnable. Elle fit un pas, regarda la porte derrière elle, hésita un instant et dut rassembler tout son courage pour se retourner et s'éloigner de la porte.
Entre temps, un train était arrivé et les passagers grouillaient à travers la Gare. Le nombre de personne qui s'y trouvaient redoubla presque, et le brouhaha s'intensifia. Le bruit de ses talons dans la foule était presque imperceptible. Elle remarqua qu'un groupe s'était déjà formé autour de la pancarte avec "NeverLand's Holidays Camp" inscrit en fluo rose. Elle s'y dirigea pour attendre le prochain bus et accessoirement trouver quelqu'un avec qui devenir meilleure copine ou amoureux. Alors une fille un peu appart et à la chevelure flamboyante. Elle s'en approcha et fut frappée par ses yeux d'un bleu océan et le look "bien à elle" qu'elle portait. Celle-ci avait l'air sympathique, elle lui inspirait confiance. Alors Suki se dirigea vers elle et s'arrêta juste devant elle, en faisant tournoyer sa robe rose aux motifs fraises de partout :

-Hey ! Je m'appelle Suki Pink, et je suis à Neverland depuis très peu de temps. Ca te dirait qu'on s'assoie à côté dans le bus ? Je ne suis pas très rassurée toute seule, toute cette neige qui cache les alentours et ces zones de verglas sur les routes... quand j'ai pris le bus pour arriver ici, je dois avouer que je me suis posée des questions, surtout qu'à un moment le chauffeur a commencé à s'énerver alors que le bus avait dévié d'un seul coup. Après il n'y a plus eu de problèmes dans ce genre jusqu'à l'arrivée mais ça m'a un peu refroidie ! Si j'ai quelqu'un pour discuter appart Kokoro, ça me rassurera. Surtout que tu m'as l'air très sympathique, Blue-chan ! Dis, tu n'es pas d'origine asiatique, non ? D'où viens-tu ? Ce n'est pas tous les jours qu'on voit une rousse aux yeux bleus ici... D'ailleurs je trouve que tu as de très jolis yeux, même si on doit te le dire souvent. Elle se tût un moment puis prit dans sa main son lapin blanc Kokoro, qu'elle emmenait presque toujours avec elle. Je te présente Kokoro ! C'est mon lapin, et je le considère comme mon meilleur ami. Ce sont mes parents qui me l'ont offert pour mon départ à Neverland ! Il est mignon, non ? Tu peux le prendre si tu veux.

La neige s'était remise à tomber lentement, commençant à s'incruster dans la chevelure de Lily, stagnant sur ses épaules ou glissant sur son écharpe. Elle n'avait rien contre la neige, elle la trouvait jolie, reposante, mais celle-ci la déprimait plus qu'autre chose. Froide, austère, inutile. Couvrant le paysage, levant le brouillard. Dès qu'elle rentrerait dans le bus sûrement chauffé qui attendait plus loin, la neige fondrait brutalement et Lily se retrouverait trempée. Cela ne l'amusait guère.

-Hey !

Lily sursauta devant la jeune fille violemment rose qui se carra en plein milieu du chemin. Au moins aussi rose que le panneau du guide quelques minutes auparavant. Quoique celui-ci l'avait laissé indifférente presque, la couleur criarde des vêtements de la... petite, la rebutait. C'était... moche.

-Je m'appelle Suki Pink, et je suis à Neverland peu de temps. Ca dirait qu'on s'assoie dans le bus ? Je suis pas rassurée, cette neige qui cache alentours et zones de verglas sur...

Elle s'appelait Suki. Dieu, qu'elle parlait vite ! Lily peina pour comprendre tous les mots, en loupa une bonne moitié. Elle allait la couper pour lui implorer d'aller moins vite, mais "Suki" continua son speech pressé. La rousse finit par lâcher le fil, et l'observa en attendant qu'elle cesse de déblatérer tout un tas de sons et de prononciations typiquement japonaises incompréhensibles. Elle possédait une voie guillerette, haute perchée qui allait parfaitement avec l'idée de gaminerie et de naïveté se dégageant d'elle. Ôh, bien sur, Lily avait déjà croisé des filles accoutrée très similairement à "ça", mais elle ne s'y était jamais habituée. Le quelque chose lolita. Certains pans de la culture asiatique lui échappaient, mais l'art du déguisement représentait plus qu'un obstacle dans son esprit. S'habiller en poupée faisait parti d'un autre monde.
Soudain elle se tût et montra son lapin avec un grand sourire, Lily se demanda ce qu'elle pouvait bien faire avec mais trop tard, Suki reprit. Et blah et blah et blah.

-Je te présente Kokoro ! C'est mon lapin, et je le (Lily ne saisit pas le mot) comme mon meilleur ami. Ce sont mes parents qui me l'ont offert pour mon départ à Neverland ! Il est mignon, non ? Tu peux le prendre si tu veux.

Lily fit de grands yeux interloqués, avec un air presque choqué et tira son écharpe vers le bas pour pouvoir parler normalement.
-Uh. J'ai pas compris tout. Rien même. Parles moins vite, s'il te plait. Je ne suis pas d'ici.

La jeune fille se tut enfin, caressant Kokoro qui restait sagement dans ses mains, regardant la rouquine avec de gros yeux ébahis. Son lapin semblait se fondre complètement dans le paysage, la neige d'un blanc parfait le rendant invisible. On aurait pu le confondre avec un gros flocon, se disait Suki avec tendresse. Il aurait du s'appeler Neige, Blanco ou encore Hivernal... Oh, et puis non, il n'y avait pas plus beau que Kokoro . Elle amena le lapin près de son visage, lui fit un bisou de grand-mère puis le reposa sur son épaule. Kokoro continuait de regarder l'inconnue avec la même expression. Que lui trouvait-il de si étonnant ? Suki se tourna vers son lapinou chéri et lui murmura : "Arrête de la fixer de cette façon là, Kokoro ! Quel manque de politesse ! Tiens, mon petit sucre." Sucre, c'était beau comme nom pour un lapin, aussi... Suki sortit un petit biscuit que Kokoro aimait tant, et le lui donna à manger. Le lapin blanc renifla un peu puis l'engloutit, et se mit à mâcher très vite, mais toujours en gardant un oeil sur sa nouvelle connaissance.

D'ailleurs celle-ci abaissa un peu son épaisse écharpe puis lui dit dans un Japonais un peu approximatif qu'elle n'avait rien compris à ce qu'avait déblatéré Suki, et lui avait demandé de parler moins vite. Alors la jeune fille sourit de plus belle et reprit :

-Ah, jeu voas, tu viens d'aarriveeer au Japoon. Suki mima un bonhomme avec ses doigts qui marchait puis désigna le sol de l'index. Neu t'inquièète paas, tu aappreeendraaa trèès viite. Excuuse-moaa, je doaas avouueer queu jeu paarle beaucouup, maais jeu neu meu reends paas compte de mon déébit raapiide. Aloors, diis-moa, d'oùù viieens tuu et qu'eeest-ceu quii t'amèène icii, auu Japoon ? C'est beauu coomme paiyis, n'est-ceu paas ? Moa, jeu n'ai jamaais vuu de pluus beauux paiyisages qu'iici. Jeu suis fièère de mon paiyis. Diis-moa, tu neu seurais paas Iiirlaaandaiiiise par hasaaard ? J'y suiis allééée uune seumaine il y a maintenant trois ans de ça... Je doas avouer qu'il y avait de très beaux paysages, on voit que la nature y est respéctée mais on ne peut pas dire qu'il y aie une ville aussi grande que Tokyo là-bas... Je veux dire qu'il n'y a pas ce côté ville indispensable à tout pays. Oh, peut-être que tu es Russe ? J'y suis allée aux vacances de Nöel à mes cinq ans donc je ne m'en rappelle plus. Néanmoins, ce que je sais, c'est que je crevais de froid ! L'hiver d'ici est plus chaud que le plein été là-bas, mon Dieu ! Au début, celle-ci décomposait bien les syllabes en se penchant un peu en avant, et en mimant ses paroles, mais au fur et à mesure elle recommençait à parler "normalement" et sans s'arrêter, cessant ses mimes. Et elle était repartie dans un monologue acharné. Néanmoins elle fut interrompue par quelqu'un qui l'avait malencontreusement bousculé et reprit de la même manière qu'au début : oui, j'ai beauuucouup voiyagéé, voiiis-tu. Et toaa ? Parleu-moa un peu de ta vie, de toa. Elle regarda sa montre rose bonbon et déclara : D'aiilleuuurs, leu busse neu va pas tardeer à arriveeer. La jeune fille se mima en train de manier un volant, fit quelques pas sur le côté, appuya sur un bouton invisible et écarta les bras en signe de porte qui s'ouvre. Elle fit semblant de monter des marches, refit quelques pas et s'assit dans le vide avant de se relever. Décidément, les passants devaient la prendre pour une dérangée mentale et ce serait un miracle si personne n'avait appelé l'hôpital psychiatrique.

Lily connaissait la désagréable sensation d'être prise pour une idiote, mais personne n'avait jamais autant insisté. Semblait-elle autiste ?

-Ah, jeu voas, tu viens d'aarriveeer au Japoon.

Suki mima en même temps quelque chose que Lily ne saisit pas, et se mit à faire d'affreuses grimaces en continuant de sa voix suraigüe.

-Neu t'inquièète paas, tu aappreeendraaa trèès viite. Excuuse-moaa, je doaas avouueer queu jeu paarle beaucouup, maais jeu neu meu reends paas compte de mon déébit raapiide. Aloors, diis-moa, d'oùù viieens tuu et qu'eeest-ceu quii t'amèène icii, auu Japoon ?
-Je ne suis pas tout à fait nouvelle non pl...
-C'est beauu coomme paiyis, n'est-ceu paas ?
-Oui.
-Moa, jeu n'ai jamaais vuu de pluus beauux paiyisages qu'iici. Jeu suis fièère de mon paiyis. Diis-moa, tu neu seurais paas Iiirlaaandaiiiise par hasaaard ? J'y suiis allééée uune seumaine il y a maintenant trois ans de ça...
-Non je ne suis pas irl...
-Je doas avouer qu'il y avait de très beaux paysages, on voit que la nature y est respectée mais on ne peut pas dire qu'il y aie une ville aussi grande que Tokyo là-bas... Je veux dire...

Lily laissa tomber. Non seulement la jeune fille (femme ? Elle hésita sur le qualificatif à utiliser) parlait trop vite, mais en plus, n'avait pas l'air d'avoir de don pour écouter. Cela tombait presque bien, finalement. Pourquoi parler ?

-Oui, j'ai beauuucouup voiyagéé, voiiis-tu. Et toaa ? Parleu-moa un peu de ta vie, de toa.
-Je m'appelle Lily.

La phrase fut nette, presque brutale. Le ton n'était pas désagréable, il tenait plus de la simple constatation. Comme si Suki aurait toujours du le savoir. La rousse rabattit son écharpe sur sa bouche de nouveau, et chassa une mèche. Elle jeta un œil vers la route, ignorant le travail appliqué de son interlocutrice pour lui faire comprendre ce qu'était un bus. Puis elle reporta son regard sur la pile électrique rose bonbon. Elle avait le visage pâle, et ce que Lily appelait "une bonne tête asiatique". Elle désignait par là tout ce qui ressemblait simplement à une personne d'origine orientale, car elle n'avait jamais été capable de les différencier entre elles. Ils n'y avaient pas de rousses, de blondes, de châtains. Elles avaient toutes les cheveux noirs de jais, et des yeux bridés. Lily était nulle pour ce qui était de reconnaître quelqu'un. C'est peine si elle arrivait à reconnaître son professeur chaque matin, persuadée de l'avoir déjà croisé une vingtaine de fois dans la rue avant. Si ça se trouve, elle avait déjà vu Suki auparavant.
Elle chassa cette idée. Elle s'en serait rappelée, finalement...

-Tu es du camp ?

Suki Pink s'était enfin tue, reprenant petit à petit une respiration normale. Elle attendit la réponse de sa prétendue amie, s'attendant à un petit monologue de sa part. Il y avait tellement à dire sur soi... qualités et défauts, faiblesses et points forts, passions, passé, relations... La jeune fille s'étonnait elle-même d'avoir une personnalité aussi complexe, une personnalité qu'elle croyait entièrement connue d'elle et pourtant, au fil du temps elle découvrait des nouvelles facettes de son caractère. Le cerveau humain était compliqué, c'était le moins qu'on puisse dire. Alors que celle-ci se posait une floppée de questions philosophiques, la réponse de Lily -car c'était son nom- rentit. Simple, qui semblait une évidence. "-Je m'appelle Lily." Suki se demanda pourquoi son interlocutrice ne lui avait pas donné son nom de famille ; elle nota ce détail dans un coin de son esprit, puis concentra ses pensées sur son identité. Lili, c'était un prénom très kawaii~ ! Alors qu'elle allait la complimenter sur son prénom, Lily lui demanda : "-Tu es du camp ?" Surprise, celle-ci marqua un temps d'arrêt à peine perceptible, mais reprit aussitôt ses esprits et lui répondit aussitôt en souriant de plus belle :

-Oui ! Je n'y suis pas depuis extrêmement longtemps, mais... oh, désolée. Jeu meu senns dééjààà vréééémeeeeent biiieeennn intégrééééée. J'aiii mêêêmeu l'iimpreeessiooon d'êtreuu cheeez moa ! Lees geeens soont vraaiimmeeeent bieeeenn aaaaccueeeuuillaaaaants, ceulaaa fait plaisiiir à vooaar. Oooh, j'aii ouuubliééé deu teu direu... Jeu suiiis lah préésideenteuuu duu cleuubee Scééniiiqueeeu ! Quèllees actiiiviiitééés aas-tuuu doonc choiisiiii ? Ceu seurééé bieeen queee nouuus... Soudain, le grave et puissant vombrissement qui se fit entendre attira l'attention de Suki : ça avait tout l'air du bruit d'un gros véhicule... comme un bus. Le bruit monta en crescendo puis elle aperçut le véhicule qui les amènerait à Neverland. Oh ! Voiiiciii leu busseee ! Lètsse gow ! Celui-ci ralentit au dernier moment puis s'arrêta pile devant les deux Neverlandaises. Sans plus attendre, la jeune fille prit Lily par la main puis s'engouffra à travers les portes qui se replièrent sur les côtés en entraînant l'étrangère. Elle s'arrêta à la troisième rangée de sièges et s'y installa, ayant lâché la main de Lily, convaincue qu'elle s'asseille à ses côtés.